Bonjour Christelle, un tout grand merci
d’accepter de répondre à cette petite interview. À deux mois de la sortie du
dernier volume de la saga « La Passe-Miroir », l’excitation est au
comble dans les chaumières.
First things first, un petit mot sur la
couverture du tome 4 : satisfaite ?
Un peu plus que cela, même. Nous avons tâtonné
au début, non pas sur le lieu qui figurerait sur la couverture (choisi depuis
longtemps), mais sur la manière de le représenter. J’ai essayé de préciser au
mieux ma vision de l’endroit, son atmosphère oppressante… et le résultat final
a été, comme pour chaque couverture précédente, au-delà de mes espérances.
C’est une illustration puissante avec une couleur qui me parle beaucoup pour ce
dernier tome.
Petit bond en arrière. En entamant le
premier tome, avais-tu toute la trame jusqu’au tome 4 en tête ou les intrigues
se sont-elles imposées au fur et à mesure ? Serait-ce une idée globale qui
s’est peaufinée de tome en tome ? Un retravail acharné au fil des
versions ? Quand on voit l’épaisseur de chaque volume et la densité tant
de l’univers que des intrigues et surtout à quel point tout s’accorde aussi
bien, je m’interroge sur le processus de fabrication (si je puis dire).
L’écriture de la Passe-miroir est
un vrai labyrinthe. J’ai commencé cette histoire l’été 2007 et j’ai
complètement improvisé sur l’équivalence des deux premiers tomes actuels. Je ne
savais pas ce qui allait se passer d’une page à l’autre, ce qui m’a valu de
beaucoup me disperser et de ne pas tout exploiter au mieux. J’ai entièrement
repris le premier tome que j’ai, par la suite, envoyé à Gallimard Jeunesse à
l’occasion du concours Premier Roman 2012. C’est là que les choses se sont
corsées. J’ai essayé de faire un plan détaillé du tome 2 avant d’attaquer sa
réécriture : ça m’a complètement bloquée. J’ai alors adopté pour un
compromis avec plein de post-it pour pouvoir adapter les étapes du récit aux
fluctuations propres à l’acte d’écriture. Préparer chaque « grande
révélation » en introduisant des éléments/personnages importants en amont,
par exemple. Mais ce n’est qu’au moment de me lancer dans la rédaction du
quatrième et dernier tome que j’ai enfin décidé comment j’allais terminer
l’histoire !
Pour parler un peu chiffres
(un tout petit peu), chaque tome représente combien de mots ?
(En arrondissant.) Les Fiancés
de l’hiver : 130 000 mots. Les Disparus du Clairdelune : 150
000mots. La Mémoire de Babel : 130 000mots. Et La Tempête des
échosdevrait compter un peu plus de 140 000 mots.
Ah, dire qu’à une époque je ne
pouvais pas écrire plus de quatre pages consécutives… que m’est-il
arrivé ?
Comment gères-tu la
notoriété ? Quelle place prend-elle dans ta vie jusqu’ici ?
Ce qui est marrant, c’est que je
ne la ressens pas tant que ça, cette « notoriété » (d’ailleurs, rien
que d’écrire ce mot me fait un drôle d’effet, je n’ai pas pu m’empêcher
d’ajouter des guillemets). Je veux dire, c’est toujours la même tête ahurie
dans la glace au lever du lit. Toujours les mêmes taches de chocolat sur
mon plaid à l’heure du goûter. Mon nom et ma trogne n’évoquent rien aux gens
que je croise. Je n’ai jamais vu encore quelqu’un me lire ni dans le train ni
ailleurs.Je suis donc toujours étonnée quand je vais à un salon du livre ou
dans une librairie et que je découvre une file qui m’attend devant le stand de
dédicaces.
En fait, c’est surtout sur
Internet que je me confronte quotidiennement à ce changement-là. Les messages
que je reçois quasi chaque jour... dont certains en anglais, maintenant. Les
fanarts et les fanfictions qui fleurissent sur Instagram autour de la
Passe-miroir. Des lectrices et des lecteurs qui m’envoient des photos de mes
livres prises à l’autre bout du monde.
C’est étrange à décrire. Ça me
flatte, ça me déconcerte, ça m’impressionne tout à la fois. Mon compagnon
m’aide à gérer la « communication web », mais même lui se sent
parfois submergé.
Alors que le chapitre se
referme sur la Passe-Miroir. Dans quel état d’esprit es-tu ? Contente de
quitter cet univers qui a partagé tant d’années de ton quotidien ? Un
mélange de soulagement et de tristesse peut-être ? Rien de tout
cela ?
C’est une des émotions les plus
complexes qui soit. En fait, ce sont plusieurs émotions complètement
contradictoires et étroitement imbriquées. Du soulagement, oui, parce que j’ai
enchaîné les crises d’angoisse sur les derniers mois d’écriture et qu’elles ne
se sont arrêtées qu’avec le point final. Du manque quand je réalise que je
continue de rêver de la Passe-miroir pendant la nuit. De l’attendrissement en
sachant que l’imagination débordante des lecteurs va continuer de faire vivre cette
histoire. De l’excitation, aussi, à l’idée de me remettre à l’écriture sur un
projet différent. De la trouille, enfin, en me demandant si j’en suis capable.
Douze ans d’aventure, douze
ans d’écriture. Quel est le bilan ? Que retiens-tu de cette fabuleuse
histoire et de son écriture ?
Ophélie et moi avons effectué un
sacré chemin depuis ce petit matin d’août où nous nous sommes rencontrées. Elle
m’a fait vivre des expériences de son côté du miroir, je lui ai en fait vivre
également de l’autre côté. Nous avons mené des batailles intérieures contre nos
peurs les plus viscérales. Nous avons appris l’une de l’autre, l’une avec
l’autre. Au-delà d’Ophélie, c’est mon écriture tout entière qui a évolué en
même temps que moi. Il a fallu que j’arrive au dernier tome de la Passe-miroir
pour réaliser que j’ai encore tout à apprendre (ou à désapprendre) en matière
de mots. Et il y a eu l’édition proprement dite qui a brisé la coquille dans
laquelle je me réfugiais pour échapper aux regards des autres. Mon compagnon
dit qu’il me trouve aujourd’hui plus épanouie et plus affirmée qu’avant.
Au terme de ces quatre tomes à
présent rédigés, un personnage préféré parmi les autres ? Celui qui
laissera le plus longtemps sa marque ?
J’ai écrit du point de vue
d’Ophélie pendant si longtemps qu’elle était devenue une deuxième peau. C’est
un personnage qui m’est plus que familier : intime. Un reflet inversé,
aussi menue que je suis charpentée, aussi endurante que je suis faillible, nous
ne sommes pas fortes face aux mêmes choses.
Mais je ne peux pas dire pour
autant « c’est ma préférée ». Les personnages d’un roman qu’on écrit
sont, selon moi, comme les personnes que nous croisons en rêve :
d’innombrables facettes de nous-mêmes. J’ai parfois eu beaucoup de mal à cerner
Thorn, mais il m’a inspirée des sentiments d’une grande force aussi,
contradictoires souvent. J’ai pris beaucoup de plaisir à voir surgir de
nouveaux visages au fil des tomes.
Des regrets concernant la
saga ?
Récemment, j’ai relu les trois
premiers tomes (ce que je n’avais pas fait depuis chaque parution) afin de
m’assurer qu’il n’y ait pas d’incohérence sur l’ensemble du récit. Je ne compte
pas les phrases que j’aurais voulu reformuler, pour ne pas dire effacer ;
certaines situations que j’aurais voulu amener différemment ; des éléments
inutilement compliqués que j’aurais volontiers glissé sous le tapis ; des
comportements de personnages qui m’ont donné envie de les secouer par les
épaules en leur postillonnant dessus.
Et pourtant, non, aucun regret.
J’aime cette histoire qui, en dépit des défauts que j’y perçois, m’a fait vivre
tant d’émotions mélangées !
L’écriture est-elle devenue
ton métier ? Ou cela reste-t-il une passion « à côté » ?
J’étais sans emploi au moment
d’être publiée.Je vis actuellement des ventes de mes livres. Je ne sais pas si
cela durera, mais j’ai cette chance de n’avoir pas à m’en inquiéter dans
l’immédiat.
Pourtant, j’ai du mal à me
dire que l’écriture est mon métier.
Parce que j’écris avant tout par
passion. Pas une passion à côté : une passion bien au milieu.
J’écris ce que je veux, quand je veux, si je veux sans me soucier de ce qui est
dans l’air du temps. Je connais des auteurs qui écrivent sur commande, avec un
éditeur qui leur fournit un sujet et un format spécifiques, avec un délai
imparti. Je m’en sens incapable.
Déjà sur un autre projet ou
petite pause ?
Il serait raisonnable que je
prenne une pause. En ce moment, avec le bouclage de mon tome 4, c’est
l’ébullition. Je passe mes journées à envoyer des mails, à répondre au
téléphone, à lire et relire mon texte. Et ça ne fait que commencer.
Donc oui, il serait vraiment
raisonnable que je mette mon écriture en pause pendant un temps.
Le problème, c’est que dès qu’il
s’agit d’écriture, je cesse d’être raisonnable. J’ai les doigts qui me
démangent. Je suis en manque de mots. Je ne peux pas faire ma course à
l’épicerie du coin sans me mettre à déborder d’idées. Ah là là, ces auteurs.
La passe miroir connaît un
succès tout à fait appréciable, le roman est traduit en plusieurs langues et on
lui souhaite encore énormément de succès. Et toi Christelle, quel est ton
prochain rêve à réaliser, littéraire ou non ?
Aimer, aimer, aimer. Vivre,
vivre, vivre. Écrire, écrire, écrire.
Un tout grand merci, Christelle.
D’abord, pour ces moments magiques que nous vivons grâce à la Passe-Miroir.
Merci également d’avoir accepté de répondre à cette interview !
Merci à toi !
Site de l'auteure : http://www.passe-miroir.com/
Facebook : https://www.facebook.com/PasseMiroir/